C ’est ainsi que je commençai le projet du Guide culturel de l’Iran en 2001, achevé en 2005, conçu comme une mini-encyclopédie de l’Iran, en tout cas comme le livre que j’aurais souhaité avoir avant de parcourir le pays. La première édition parut en 2006 chez un éditeur iranien, aucune maison d’édition en France n’ayant montré un intérêt quelconque pour l’ouvrage. En Iran même, et malgré l’absence de soutien médiatique et économique et l’indifférence des milieux du tourisme ou de l’Organisation du Patrimoine, la moitié des 5000 exemplaires furent vendus en six mois. Une deuxième édition, considérablement revue et corrigée, parut en 2009, sous l’égide de la Maison de l’Iran à Paris. Suivirent une troisième édition en 2015, une quatrième en 2016 (le bandeau de la couverture porte par erreur « 3e édition »), une cinquième en 2017, une sixième en 2018 : chacune a fait l’objet d’une révision plus ou moins large. C’est à partir de la septième édition (non encore publiée, et entièrement revue) qu’a été effectuée une version anglaise, qui paraîtra en été 2022. Une version allemande parut en 2016 (2e édition 2019).
C e ne fut pas mon intention d’explorer le monde iranien, mais les circonstances et des portes ouvertes m’invitèrent à approfondir certains secteurs de la culture iranienne, passée et présente. La découverte du Livre des rois de Ferdowsi m’incita à écrire une petite introduction à cette épopée fondatrice de l’iranité, écrite au début du XIe siècle par un poète du Khorasan, Ferdowsi. Écrit pendant mes études à l’École Pratique des Hautes Études à Paris, le livre fut publié en 2009 et offre une analyse thématique, symbolique, occasionnellement « structuraliste », de l’épopée.
E n février 2011, je conçus le projet d’une étude du mausolée de l’Imam Reza à Mashhad, ville de pèlerinage séculaire de l’Iran, l’un des plus grands mausolées du monde islamique, et un patrimoine majeur de l’architecture iranienne. La documentation française sur ce sanctuaire est quasiment inexistante, et les ouvrages et articles en anglais, plus ou moins datés et partiels, ne rendaient nullement compte de l’évolution spectaculaire du complexe sacré après la Révolution islamique. Grâce à un contact avec l’Ambassade d’Iran à Paris, je pus obtenir un accès privilégié au sanctuaire au printemps 2011 : prendre des centaines de photographies dans la plupart des lieux historiques, et obtenir nombre d’images d’archive conservées par les Fondations de recherche à Mashhad. En automne, le livre était prêt, mais ne fut publié qu’en 2016 : l’éditeur d’abord pressenti, Rowzaneh, s’en désintéressa finalement, et c’est Afshin Shahneh, directeur des éditions Candle & Fog avec lequel je commençais à collaborer de plus en plus étroitement, qui publia le livre.
En 2012, un autre projet sur Mashhad vit le jour, le seul de ma carrière qui me fut proposé, même si j’en orientais le projet final. Après avoir gagné pour L’univers symbolique des arts islamiques (2009) le Book of the Year Award of the Islamic Republic of Iran et le prix Farabi, je fus invité à participer à plusieurs manifestations, et notamment à un colloque international sur Les arts et la religion à Hamadan, où je fis la connaissance de M. Akbari, alors directeur du département des traductions du Sazman farhang va Ertebatat Eslami. Une amitié se noua rapidement, et il souhaita que j’écrive un « guide culturel de Mashhad » sur le modèle du Guide culturel de l’Iran. Je lui offris un contre-projet, sous la forme d’une anthologie commentée des voyageurs occidentaux à Mashhad antérieurs au XXe siècle. Achevé en 2014, le livre, après quelques péripéties (la collaboration cessa avec le Sazman farhang va Ertebatat Eslami), parut en 2018. Indépendant du livre sur l’architecture du mausolée de l’Imam Rezâ, il en constitue pourtant un complément pertinent, tout en offrant une introduction historique à une ville contemporaine de trois millions d’habitants et qui accueille annuellement entre quinze et vingt millions de pèlerins.
J e caressais depuis de nombreuses années l’idée d’un livre qui, dix ans après le Guide culturel de l’Iran, serait comme la synthèse de mon expérience iranienne et qui aborderait des thématiques également politiques et sociétales. Ce projet aboutit finalement dans une première version en août 2018, dans une seconde version au printemps 2020. Le désintérêt des maisons d’édition françaises pour l’Iran (et parfois le black-out culturel que certaines entendent perpétuer sur ce pays), parallèlement à la crise mondiale du Covid-19, retarda la sortie de livre jusqu’à l’automne 2021, et c’est Candle & Fog qui en assura la publication, après qu’une parution dans la remarquable collection « L’Iran en transition » (dirigée par Ata Ayati à L’Harmattan) fût envisagée. Si ce livre évoque quelques thèmes déjà parcourus (notamment la poésie persane), il met l’accent sur des aspects géopolitiques, politiques, anthropologiques et sociaux, que je n’avais pas abordé jusqu’à présent. À la différence d’autres ouvrages sur l’Iran contemporain – et des chercheurs comme Fariba Adelkha, Thierry Coville, Bernard Hourcade ou Yann Richard ont écrit des synthèses magistrales –, ce livre s’intéresse de façon polyphonique à l’Iran : à ses structures de pouvoir comme à ce que j’ai appelé sa « multidimensionnalité », à sa poétique comme au martyrisme, en cherchant un point d’équilibre entre l’analyse historico-critique et le rendu d’un point de vue plus intime, parfois plus à même de saisir les dynamiques fondamentales de l’Iran d’aujourd’hui et de jeter une passerelle entre objectivité érudite et réflexion personnelle.
L e matériel photographique accumulé en Iran depuis vingt ans me conduisit à envisager la publication d’un beau livre de photographies. Le projet initial fut un « livre-calendrier », proposant pour chaque jour du calendrier iranien une image d’Iran et un poème persan traduit en français, soit 366 photographies et 366 textes. Finalement, je n’ai retenu que l’idée d’un voyage visuel, à la fois intime et spectaculaire, se passant de mots, racontant un Iran multiple par des photographies aux registres divers. Il en est résulté deux livres, parus au printemps 2022 : Une année en Perse et Une autre année en Perse.
U n projet n’aboutira jamais : Témoins et martyrs. La guerre Iran-Irak vue d’Iran. Dès 2013, j’eus l’occasion de rencontrer d’anciens photographes de guerre iraniens, travaillant dans une école de photographie et œuvrant à la publication d’anthologies d’images du conflit de huit ans entre l’Iran et l’Irak (1980-1988). Je leur proposais alors de concevoir une anthologie commentée de photographies, destinée à introduire ce patrimoine au public européen. Ils acceptèrent le projet à bras ouvert, et je pus pendant des mois parcourir des milliers d’images et en sélectionner environ 200, que j’organisais en huit chapitres (Avant la guerre ; La guerre ; La vie sur le front ; Les civils dans la guerre ; Femmes et mères ; Martyrs ; Destructions ; Après la guerre). En 2016, j’avais achevé la conception générale du livre, mais le projet buta alors sur des questions idéologiques. Malgré une prudence extrême dans l’écriture des textes – cette guerre est un tabou majeur de l’histoire récente et de l’historiographie de la République islamique –, mes interlocuteurs, avec lesquels j’avais toujours entretenu des contacts chaleureux et amicaux, furent réticents à une vision, historienne et analytique, qui leur paraissait trop étrangère et trop développée (ils auraient préféré une publication quasiment dépourvue de textes, et ce en contradiction avec le projet initial, qui entendait fournir les repères culturels et historiques minimaux pour permettre à un public non-iranien de lire et comprendre les images). Le projet s’enlisa, puis des changements administratifs, une retraite anticipée de plusieurs professeurs, achevèrent de faire sombrer un projet qui aurait pourtant fait connaître, au-delà d’une mémoire nationaliste et idéologique, un patrimoine d’images qui racontent la guerre, l’humain, la souffrance, où qu’ils soient.