L a peinture persane ou la vision paradisiaque fut mon premier livre. Il fut rédigé en 1999, complété et révisé en 2004, alors qu’étudiant à Paris, je pus profiter des ressources de la bibliothèque persane de Sorbonne Nouvelle-Paris 3. Le livre fut finalement publié en 2006 par Les Deux Océans, après avoir intéressé Albin Michel et Dervy, et parut la même année que le Guide culturel de l’Iran, synthèse introductive au patrimoine de l’Iran contemporain. Première incursion approfondie dans le monde persan, cette étude témoigne de l’influence de l’iranologue Henry Corbin, que j’avais découvert dans ma vingtaine, et elle offre une approche philosophique de la peinture persane qui pèche par ses généralités, son manque de différenciation historique, ses notations essentialistes. Malgré ces défauts de jeunesse et de méthodologie, cette étude esquissait un certain nombre de réflexions sur le rapport entre esthétique et vision du monde, esthétique et créativité, symbolisme et spiritualité, qui furent l’un des fils conducteurs de mes travaux ultérieurs. Le livre a été réédité dans Peindre l’Invisible, en même temps que deux autres ouvrages appartenant plus à la philosophie des arts qu’à l’histoire des formes esthétiques (L’art chrétien de l’image et L’union du ciel et de la terre).
L
a découverte de l’Iran en 2000, les voyages nombreux que j’y fis pour l’écriture du Guide culturel de l’Iran, me conduisit assez naturellement à explorer l’architecture persane, sur laquelle je fus amené à écrire plusieurs livres. Le premier, spécialisé, fut une monographie sur les coupoles persanes, publié en 2016 par une maison d’édition hélas disparue depuis (La Völva, à Besançon) : Les coupoles persanes. Un art de ciel et de terre. Sur cette forme majeure de l’architecture iranienne depuis l’Antiquité sassanide, le livre offre un panorama général, en s’attachant également à mettre en évidence les significations astronomiques, royales, éventuellement religieuses et mystiques, des coupoles et de leur décor de briques, peint ou mosaïqué.
La même année (2016) parut un gros volume sur l’architecture du sanctuaire de l’Imam Rezâ à Mashhad, le principal mausolée historique de l’Iran, lieu de pèlerinage séculaire, et sur lequel la documentation en langue occidentale (et même en persan) est lacunaire ou datée. Né de recherches effectuées au printemps 2011, l’ouvrage se veut surtout un panorama photographique méthodique du complexe sacré, susceptible de fournir une documentation pertinente aux historiens de l’architecture et de son décor, ponctué de chapitres introductif synthétisant les données historiques sur les mosquées, madrasas, salles et cours construites entre l’époque seldjoukide et les années 2000.
En 2018, je publiai un ouvrage général sur l’architecture iranienne, Architectures persanes. Faisant la part belle aux illustrations, ses chapitres courts et denses offrent en même temps une synthèse des significations symboliques tant des monuments que des formes architecturales et des décors. Un chapitre final explore également l’herméneutique royale et cosmologique du cœur urbain de l’Ispahan safavide (XVIIe siècle).
Le musée national de l’Iran, publié en 2019, est né d’explorations photographiques et d’une rencontre. Intéressé par la macrophotographie d’objets historiques, j’avais conçu l’idée d’explorer les détails des œuvres d’époque islamique du Musée national de l’Iran, principal musée de l’Iran, qui n’avait alors pas publié de catalogue – et qui ne l’a d’ailleurs toujours pas fait, hormis une brochure de qualité mais qui ne rend aucunement justice aux collections. Un contact épistolaire avec le poète Michel Lagrange me donna l’idée d’enrichir le livre par des poèmes que le poète bourguignon, auteur d’une œuvre considérable, composa à partir de mes images. Le résultat est un « anti-catalogue » : une exploration visuelle et poétique, qui aimerait faire voir – et visiter – autrement un musée et ses objets.
En 2018, Leili Anvar m'invita à participer à un projet collectif aux Éditions Diane de Selliers (Paris) : la traduction illustrée de Leyli et Majnun, du poète et soufi Jâmi (XVe siècle), célèbre récit d’amour tragique, originellement arabe, mais dont les poètes persans (et en premier lieu Nezâmi au XIIe siècle) ont livré les narrations les plus belles et les plus profondes. Je fus chargé d’écrire les commentaires et une introduction aux peintures tirées des traditions persanes et ottomanes, alors qu’à Amina Okada, conservatrice en chef au Musée Guimet, fut confié le commentaire des peintures provenant de l’Inde moghole. Le livre parut en automne 2021. Sur la peinture persane, il représente mes réflexions les plus poussées sur cet art majeur de l’Orient, non seulement sur l’idée picturale et sa relation aux textes, mais plus généralement sur la problématique d’un art dit « islamique », la tradition persane, la question de l’herméneutique et de l’esthétique, le symbolisme visuel et les niveaux d’interprétation. Quelque vingt ans après La peinture persane, il synthétise une vision à la fois historique et philosophique, qui tente à la fois de mettre à jour des significations anciennes au regard des paradigmes culturels historiques, et de faire voir cet art dans son pouvoir – toujours – contemporain d’éclairer une perception du monde et un horizon vivant de sens.
Sources des images : Metropolitan Museum of Art (couple d’amoureux, XVIIe siècle) et Wikimedia (Majnun au désert).